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DU SOIN QUE LA PROVIDENCE DIVINE

A DE NOUS DONNER DES ANGES POUR NOUS GARDER,

ET DES AVANTAGES

RENFERMÉS DANS CE BIENFAIT.

Par le Vénérable Père Louis du Pont

 

 

 

L'Ange Gabriel, Nativité, Botticelli.

 

Introduction

Dès l’année 1603, le P. Dupont était à bout de forces. Il avait résisté pendant plus de vingt ans aux attaques répétées d’infirmités diverses, l’épuisement était complet maintenant ; et les Supérieurs allaient se voir obligés de décharger le saint religieux de tous ses emplois. Il lui resterait plus qu’à se préparer à la mort. Au-dedans de lui cependant il sentait que cette réponse de mort ne pouvait être définitive. Les plans de Dieu sur lui il ne les savait pas encore pleinement. Fort de cette conviction intime il eut comme dans toutes les circonstances difficiles de sa vie, recours à la prière. Et tandis qu’il était à genoux dans sa pauvre cellule il sentit tout d’un coup tant de lumières éclairer son intelligence et tant d’amour embraser sa volonté qu’il se leva subitement de son oratoire, s’écriant comme hors de lui-même : « Ah ! Seigneur, assez de lumières, assez de flammes, c’est assez, c’est assez ». Et il parcourait sa chambre en poussant des exclamations entrecoupées. Lorsqu’il racontait cet événement, il ajoutait que son corps, son âme et son appartement lui semblaient être comme une fournaise d’amour et que si Notre-Seigneur n’avait modéré ses ardeurs il aurait succombé à ce délicieux martyre.

La volonté de Dieu était maintenant manifeste ; le P. Dupont se mit tout de suite au travail. Ses forces semblèrent lui revenir de nouveau, et nous savons qu’il put même rendre encore des services appréciables comme P. Spirituel, Consulteur de province, Préfet des Études et Recteur intérimaire de Valladolid. La tâche qu’il entreprenait ainsi selon son propre aveu sous l’effet d’une inspiration divine, il allait maintenant la poursuivre dans un état d’extase presque continuellede 1603 à 1624. On frappait à sa chambre, on entrait, il ne s’en apercevait pas. Un jour, pendant qu’il faisait son action de grâces un fou s’approcha de lui et le rudoya : immobile comme une statue de marbre le P. Dupont ne se rendit compte de rien. Poursuivi une autre fois par un taureau furieux dans les rues de Valladolid et sauvé miraculeusement de la mort, il n’eut point conscience de l’accident auquel il venait d’échapper. D’autres faits similaires pourraient être cités. Pour lui, perdu en Dieu, le monde extérieur n’existait plus. La nuit il avait auprès de son lit une petite table de travail sur laquelle il avait posé une lampe qui restait toujours allumée. Il se réveillait à minuit et prenait aussitôt sa plume et écrivait jusqu’à trois heure du matin. Il faisait trois heures d’oraison, disait sa Messe et revenait à sa table de travail. Quand il ne pouvait quitter son lit il n’en continuait pas moins à travailler, péniblement penché sur sa petite table. En fait il avait une grande facilité de composition et écrivait d’abondance sans avoir besoin de consulter des livres. Ses longues heures de méditations et son intimité avec Dieu rendaient sa tâche facile.

C’est ainsi que furent écrits les « Méditations sur les Mystères de notre sainte foi » dont est extrait ce chapitre.

 

 

 Vénérable Père Louis du Pont S.J. , (Luis de la Fuente) (1554 - 1624)

 

I. - Pour quelles raisons Dieu a préposé les anges à la garde de l'homme.

Je considérerai, en premier lieu, qu'il a plu à Dieu de donner à tous les hommes des anges pour les garder et pour les conduire dans le chemin du salut. Plusieurs raisons l'ont porté à leur accorder cette faveur.

Premièrement. Il a voulu témoigner combien il les aime, et combien il désire les sauver, puisqu'il a choisi, comme dit saint Paul, des esprits angéliques pour servir de conducteurs et de guides, dans la voie du ciel, à ceux qui doivent être les héritiers du salut. Ainsi, non seulement toutes les créatures qui sont sur la terre sont destinées à servir l'homme, mais celles mêmes dont la demeure est dans le ciel, et dont la nature est supérieure à celle de l'homme, ont reçu la mission d'être ses auxiliaires en toute circonstance.

C’est pourquoi le Sauveur disait : Gardez-vous bien de mépriser de ces petits enfants, car je vous assure que leurs anges voient toujours la face de mon Père qui est dans les cieux. C'est-à-dire : Dieu les estime au point qu'il leur a donné pour gardiens des anges qui ont le bonheur de le voir et de le posséder dans sa gloire.

Je vous rends grâces, ô Père éternel, de l'estime et de l'affection que vous témoignez à l'homme ; je ne m'étonne plus que vous ayez mis toutes choses sous mes pieds, et que vous ne m'ayez placé qu'un peu au-dessous des anges, lorsque vous ordonnez à ces mêmes anges de me garder et de me défendre pour votre amour. Que je vous serve, Seigneur, comme ils vous servent en reconnaissance du bien qu'ils me font pour vous plaire.

Deuxièmement. La divine Providence qui connaît notre faiblesse nos besoins et les dangers auxquels nous sommes exposés, pouvait sans doute nous secourir par elle-même ; néanmoins elle a mieux aimé se servir des anges à cette fin, ainsi que David le déclare par ces paroles : Le mal ne viendra point jusqu'à vous, et les fléaux n'approcheront point de votre tente, parce que Dieu a ordonné à ses anges de vous garder dans toutes vos voies. Ils vous porteront dans leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre la pierre.

Le Psalmiste signale ici trois bienfaits. D'abord, ce n'est pas à un ange, mais à ses anges que Dieu a confié le soin de veiller sur nous ; ce qui nous donne à entendre que plusieurs sont chargés de cet emploi, comme nous le verrons bientôt. Ensuite, les anges doivent nous garder dans toutes nos voies, en quelque lieu que nous allions, en quelque partie du monde que nous habitions, sur mer et sur terre, dans toutes nos affaires et dans toutes nos actions. Enfin, les anges nous porteront dans leurs mains et nous délivre­ront des occasions de chute; leurs bras nous serviront comme de litière, pour nous garantir des injures de l'air et des aspérités du chemin.

O très douce et très aimable providence de notre Père céleste, comment pourrai-je vous rendre grâces des soins multipliés que vous prenez de secourir ainsi ma faiblesse ? Que ne suis-je aussi prompt à vous servir que vos anges le sont à m'assister ! Puissé-je suivre ces guides fidèles dans toutes mes voles, pour ne m'écarter jamais des vôtres ! Puissé-je me laisser toujours porter dans leurs mains, afin que je mérite de reposer dans votre cœur ! Anges bienheureux, ayez toujours soin de moi ; faites que le mal ne m'atteigne pas, que l'affliction m'épargne, et que je ne cesse de servir le Père qui n'a jamais cessé de me couvrir de sa protection !

Troisièmement. Dieu, voyant que les mauvais anges bannis du ciel s'acharneraient, poussés par l'envie et la fureur, à tenter et à persécuter les hommes, a voulu que les bons anges, qui sont demeurés dans le ciel, viennent à notre secours et combattent pour nous contre les démons, afin que ceux à qui des esprits invisibles devaient faire continuellement la guerre, fussent défendus par des protecteurs invisibles. Dans l'état même d'innocence, si un démon trouva le moyen de tenter nos premiers parents, il y eut aussi un ange envoyé de Dieu pour les garder et les protéger ; et si Ève avait écouté les inspirations du bon ange, qui lui parlait au fond du cœur, elle n'aurait pas ajouté foi aux suggestions du serpent. On peut dire encore que la divine Pro­vidence nous a donné ces gardiens fidèles pour nous fournir un secours contre d'autres ennemis qui, quoique visibles, sont néan­moins cachés et couverts ; et qu'ainsi il nous fallait un ami, caché aussi, qui puisse les connaître et déjouer leurs perfides desseins.

Ces considérations me rempliront de confiance et m'enhardiront contre les démons et contre mes autres ennemis secrets, qui sont incapables de me nuire, tant que les bons anges combattront pour moi.

O mon âme, si Dieu t'ouvrait tout à coup les yeux, comme il fit au serviteur d'Élisée, et s'il te montrait combien ceux qui t'attaquent sont inférieurs en nombre et en force à ceux qui te défendent, sans nul doute tu sentirais en toi une généreuse envie de combattre, et une espérance certaine de rem­porter la victoire. Loue et bénis la providence du Dieu des armées, qui, contre des ennemis nombreux et puissants, t'a donné de plus nombreux et de plus valeureux défenseurs.

 

 

Saint Michel Archange terrassant Satan,

Paolo Veneziano, 1350

 

II. - Etendue de la Providence.

Je considérerai, en second lieu, que la Providence s'étend universellement sur tous les hommes, et qu'elle les protège tous d'une manière admirable.

Premièrement. Elle donne des anges gardiens aux réprouvés aussi bien qu'aux prédestinés, aux pécheurs aussi bien qu'aux justes, et non seulement aux chrétiens, mais aux païens et à tous les infidèles, sans en excepter un seul. L'Antéchrist même aura le sien, parce que Dieu, qui désire le salut de tous les hommes, leur procure à tous ce secours pour opérer leur salut. Et afin que nul n'attribue à ses mérites cette faveur insigne, il la fait à tout le monde, en sorte qu'il n'y a personne qui ne se trouve sous la protection d'un ange, dès que son âme est créée et unie au corps, ou tout aµ moins dès le moment de sa naissance.

Deuxièmement. Mais ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que, bien qu'un seul ange puisse suffire pour garder tous les hommes qui habitent une ville ou un royaume, néanmoins la providence ne confie à un ange que la garde d'un seul homme, qu'il doit suivre en quelque partie, en quelque lieu du monde que ce soit, lui servant de compagnon et d'auxiliaire tous les jours de sa vie, sans jamais l'abandonner, si rebelle qu'il se montre à ses inspira­tions.

O Père miséricordieux, quelles actions de grâces vous rendrai-je pour cet inestimable bienfait ? Quoi ! vous ordonnez aux anges, vos amis, de conduire et de protéger vos ennemis ! Dès le sein de ma mère j'ai été un enfant de colère, et cependant dès lors vous avez donné mission de veiller sur moi à un de vos anges qui était un vase de miséricorde, afin qu'il s'employât à me rendre semblable à lui. Faites, Seigneur, que je vous serve comme l'ange préposé à ma garde vous sert, afin que je mérite de participer au bonheur qu'il a de vous voir et de régner avec vous !

Ces réflexions sont bien capables de m'inspirer de l'estime et de l'amour pour les derniers même des hommes, puisqu'il n'en est pas un qui n'ait un ange commis exclusivement à sa garde. Ne méprisez pas, nous dit Jésus-Christ, ne méprisez pas un seul de ces petistJe n'oserais pas sans doute médire d'un absent devant quelqu'un qui serait son ami le plus dévoué, ni injurier un homme en face s'il avait avec lui un puissant défenseur ; ne dois-je pas user de la même retenue, en songeant que mon prochain a un ange qui le défend, qui écoute la médisance que je me permets contre son client, qui considère l'outrage dont je me rends coupable envers son protégé, qui demande justice au ciel, et n'attend que la permission du souverain Juge pour en tirer vengeance ?

Troisièmement. La divine Providence ne se contente pas de donner à chacun de nous un ange gardien du dernier chœur de la hiérarchie inférieure : elle donne encore aux rois, aux princes, aux royaumes, aux villes, des archanges ou des principautés pour les gouverner. Elle fait la même grâce à l'Église universelle, à chaque diocèse, à chaque province, à chaque ordre religieux, aux maisons particulières de chaque ordre, aux prélats et aux personnes constituées en dignité, afin que, par l'entremise de ces esprits supérieurs, les desseins divins s'exécutent d'une manière douce et plus efficace. Ainsi chacun de nous a pour protecteurs, non seulement l'ange commis à sa garde, mais aussi les archanges et les principautés qui gouvernent le royaume et la ville où il demeure ; président à l'Église universelle, au diocèse où il réside, à l'ordre religieux dont il est membre, à la communauté dont il fait partie ; enfin, toute personne revêtue d'une dignité ou d'un emploi est spécialement protégée par l'ange qui lui est donné à raison de sa dignité ou de son emploi. De plus, dans les tentations nous sommes secourus par les anges de la seconde hiérarchie, c'est-à-dire par les vertus et les puissances, qui ont un pouvoir particulier pour réprimer les attaques des malins esprits. Enfin, telle est la suavité de la divine Providence que, dans l'intérêt de l'homme, elle a chargé des anges de veiller à la conservation des espèces périssables, et d'empêcher qu'elles ne soient totale­ment détruites, de peur que l'homme ne se trouve privé des avantages qu'il en retire, et que la fin pour laquelle Dieu les a créées ne cesse d'être obtenue. Toutes ces pensées doivent être pour moi un nouveau motif de louange ; je me réjouirai de l'amour que Dieu me témoigne en tant de manières, et j'inviterai mon ange gardien, l'archange, la principauté, la puissance qui me gouvernent à lui rendre grâces pour moi de ses dons, comme des biens qu'il accorde aux infidèles qui ne le connaissent pas et ne peuvent apprécier son immense charité pour tous les hommes.

 

 

 Bon Ange, 1467, Piero della Francesca, Italie.

 

III. - Comment les anges s'acquittent de leur mission.

Je considérerai, en troisième lieu, avec quel empressement et quel contentement les anges s'acquittent de leur emploi, sans que rien, ni la noblesse et la supériorité de leur nature, ni la bassesse et l'infériorité de la nôtre, ralentisse leur zèle. Je rechercherai les causes de cette joie spirituelle, afin d'imiter les anges en ce point.

La première cause est le commandement de Dieu. Les anges, parce qu'ils aiment Dieu, désirent ardemment exécuter toutes ses volontés. Aucune œuvre ne leur semble ni vile ni basse lors­qu'elle est ordonnée par le souverain Seigneur dont les serviteurs sont des rois. L'archange Raphaël, l'un des sept esprits qui se tiennent debout devant le trône du Tout-Puissant, servit Tobie durant son voyage avec autant de joie que s'il avait eu à gouverner un royaume ou à présider aux mouvements des cieux. Il regardait moins la chose commandée que la dignité de celui qui intimait le commandement. De même, l'ange gardien d'un esclave remplit son emploi avec autant de plaisir que l'ange gardien d'un empereur ou d'un pape.

Anges de Dieu, revêtus de force et de puissance pour accomplir sa volonté et entendre les paroles qui sortent de sa bouche, bénissez-le de ce qu'il vous a rendus si prompts à lui obéir, et suppliez-le de m'aider à vous imiter, en mettant toute ma gloire à exécuter tout ce qu'il lui plaira de me commander,

La seconde cause de l'empressement et de la joie des anges, c'est leur amour pour les hommes, qu'ils regardent comme leur prochain. Voyant que Dieu les aime, ils ne sauraient manquer de les aimer aussi ; et parce que Dieu les a aimés jusqu'à se faire homme pour eux, ils prennent plaisir à nous aimer jusqu'à se rendre nos serviteurs. Aussi, lorsque saint Jean voulut se prosternerdevant l'un d'entre eux, à cause de l'excellence de sa nature, l'ange refusa cet honneur en disant : Gardez-vous de m'honorer de la sorte : je suis serviteur de Dieu comme vous, et comme vos frères qui demeurent fermes dans la confession de Jésus•  En d'autres termes : Vous devez m'estimer moins parce que je suis un ange, que parce que je suis serviteur de Jésus-Christ, comme vous et vos frères ; et j'aime mieux lui obéir comme serviteur, que d'être adoré de vous comme maître. Or l'amour excessif que les anges ont pour nous les porte à faire du bien non seulement à ses amis, mais encore à ses ennemis, afin qu'ils deviennent ses amis, et c'est pour cela qu'ils veillent sur eux avec une tendre sollicitude.

La troisième cause de la joie des anges dans leur emploi résulte des deux premières ; c'est un désir très ardent de remplir les places que les mauvais anges ont laissées vides dans le ciel, et qu'ils ont perdues par leur désobéissance. C'est donc dans cette vue qu'ils font tous leurs efforts pour nous rendre dignes de les occuper. De là vient que, lorsqu'un pécheur fait pénitence, sa conversion est pour tout le ciel un sujet de joie. Au contraire, si les anges de paix étaient accessibles à la tristesse, la chute d'un juste leur ferait verser des torrents de larmes, car aucune raison autre que celle-ci ne peut les attrister. On peut dire de la même manière que notre tiédeur attriste nos saints anges, et que notre ferveur les réjouit, tant ils souhaitent que nous croissions en vertu, et même que nous les surpassions en sainteté. Ils sont si éloignés de nous porter envie, qu'ils voient avec plaisir des hommes placés dans des rangs plus éminents que les leurs, parmi les chérubins et les séraphins.

O mon âme, reconnais l'ardente charité de ces bienheureux esprits ; efforce-toi, pour les imiter, de réprimer tout mouvement d'envie ; pleure sur les pécheurs ; réjouis-toi lorsqu'ils se convertissent et lorsqu'un juste s'élève plus haut que toi. Souviens-toi que tu as un ange qui prend plaisir à te voir avancer dans la vertu. Ne fais donc rien qui puisse lui déplaire, et n'omets rien qui puisse lui agréer, afin de réjouir celui qui se fait un sujet de joie de ce que tu augmentes en vertus et en mérites.

 

 

Bon ange, 1495-1500  Sandro Botticelli

 

 

IV. - Avantages spirituels que nous procurent les soins vigilants et continuels de nos anges gardiens.

Je considèrerai, en quatrième lieu, les soins que les anges gardiens prennent de nous, et les biens spirituels que nous en retirons.

Premièrement. Je rechercherai d'où leur vient cette affection si tendre pour leurs clients. Le Sauveur nous l'apprend par ces paroles : Ils voient sans cesse la face de mon Père qui est dans le ciel. La claire vision de Dieu produit en eux les trois qualités sans lesquelles ils ne pourraient nous faire sentir leur protection, ni imiter la providence divine. Ces qualités sont la sagesse, la bonté, la puissance. La sagesse leur révèle ce qu'ils doivent faire en notre faveur ; l'amour les porte à nous venir en aide ; la puissance leur permet d'exécuter ce que réclament nos intérêts. Dans les cas où la volonté de Dieu à notre égard ne leur est pas manifestée, chacun fait ce qu'il juge le plus utile à la personne qui lui est confiée, dût-il par là se mettre en opposition avec quelque autre esprit céleste, comme il arriva entre l'ange gardien des Juifs et l'ange gardien des Perses[1]. Mais leurs différends cessent et ils n'ont plus de volonté propre dès que le Seigneur leur fait connaître la sienne. Je dois croire fermement cette vérité, et me rappeler cette parole de l'Ecclésiaste : Ne dites pas devant votre ange : Il n'y a point de Providence, de peur que Dieu, irrité d'unsemblable langage, ne détruise toutes les œuvres de vos mains. C'est-à-dire : Songez que vous êtes en présence de cet ami fidèle­ et gardez-vous bien de dire devant lui que ni Dieu ni lui ne prennent soin de vous ; car au lieu de ressentir les effets de leur sollicitude, vous attireriez sur vous le châtiment dû à un si détestable blasphème.

Deuxièmement. Je passerai ensuite à la considération des effets merveilleux que l'intervention des anges produit dans l'ordre spirituel. On peut les réduire aux trois fonctions hiérarchiques mentionnées par saint Denis : Purifier, illuminer, perfectionner. La première des hiérarchies célestes les exerce à l'égard de la seconde ; la seconde à l'égard de la dernière ; et celle-ci à l'égard des hommes, qui ne laissent pas, dans des circonstances extra­ordinaires, d'être assistés par des esprits de la hiérarchie supérieure.

Ainsi, en premier lieu, les anges nous purifient de toute erreur et de tout péché ; ils nous aident à sortir de la voie du vice en nous portant aux exercices de la vie purgative ; ils imitent le séraphin qui, après avoir touché avec un charbon ardent les lèvres du prophète Isaïe, lui dit : Voici que ce charbon a touché tes lèvres: tes iniquités sont effacées, et ton péché t'est remis

Ils nous éclairent ensuite sur les vérités et sur les mystères de la foi, et ils nous instruisent de ce qui regarde la pratique des vertus. Ils nous apprennent par là ce que nous ignorons, et ils nous font aimer l'accomplissement de nos devoirs, ce qui nous est très utile pour progresser dans la voie que l'on appelle illu­minative. Quelquefois ils nous inspirent d'aller consulter des maîtres capables de nous enseigner, et en même temps ils aver­tissent ces maîtres de nous accueillir, de nous instruire et de nous aider avec amour, comme le prouve l'histoire du centurion Corneille.

Enfin les anges nous aident à nous perfectionner dans toutes les vertus, particulièrement dans les exercices qui tendent à nous unir avec Dieu, comme sont la méditation, l'oraison, la contempla­tion. Ils nous préviennent, comme parle David, en nous excitant à prier, et ils se tiennent auprès de nous lorsque nous prions, afin que notre oraison soit fervente et tranquille. Saint Jean nous apprend qu'ils présentent nos prières à Dieu, comme des parfums d'une agréable odeur, et qu'ils joignent leurs vœux aux nôtres pour nous obtenir les grâces que nous sollicitons. Lors donc que j'éprouve soudainement quelque attrait pour la prière, je puis présumer qu'il me vient de mon bon ange, et il est juste que je fasse ce qu'il m'inspire. Il faut aussi qu'à l'exemple du Roi ­prophète, je loue, j'adore, je glorifie le nom du Seigneur en présence des anges, sans perdre le souvenir de ces témoins invisibles, craignant d'entretenir devant eux des pensées que je rougirais de laisser paraître devant les hommes : autrement comment pourraient-ils offrir à Dieu mes prières ?

O prince de la cour céleste, qui êtes préposé à ma garde, purifiez mon âme de ses vices, ornez-la de toutes les vertus ; unissez-moi à Dieu par les liens de la charité ; excitez-moi à prier et assistez-moi lorsque je prie, afin que ma prière soit fervente, qu'avec votre secours elle monte jusqu'au ciel, qu'elle en revienne comblée de grâces, et qu'elle demeure unie à Dieu dans tous les siècles.

Troisièmement. Je remarquerai enfin que les anges ont un soin extrême d'éloigner de nous tout ce qui peut s'opposer à notre bonheur éternel. Ils combattent pour nous, ainsi qu'il fut révélé à saint Jean ; ils nous soutiennent lorsque nous sommes le plus violemment attaqués par les ennemis de notre salut, et nous pouvons nous promettre la victoire, si nous voulons profiter de leurs conseils et de leurs secours. Ils nous protègent encore contre d'autres ennemis. L'ange du Seigneur, dit David, environnera de toutes parts ceux qui le craignent, et il les délivrera de tout péril ;; il amènera avec lui, s'il le faut, une armée entière d'autres anges qui se rangeront autour d'eux, et les défendront comme ils défendirent Élisée contre ceux qui avaient conjuré sa morts.

Je vous rends grâces, esprits bienheureux, du zèle que vous mettez à me protéger. Car je suis certain que vous n'êtes pas moins ardents à me défendre que les démons à me poursuivre, et que votre charité vous porte à me faire autant de bien que leur malice voudrait me faire de mal. Et puisque, sem­blables à des lions rugissants, ils tournent autour de moi cherchant à me dévorer, venez comme d'autres lions plus forts et plus redoutables, afin de les mettre en fuite. Si la victoire m'est utile, elle ne vous sera pas moins glorieuse.

 

 

Congrégation de Archanges, Angelos Akotantos, Mont Athos

 

 

V. - Avantages temporels que nous procurent les saints anges.

Je considérerai, en cinquième lieu, comment les anges s'em­ploient à nous procurer les biens temporels et matériels qui peuvent contribuer à notre salut.

Premièrement. Ils veillent à la conservation de notre vie, de notre santé, de notre honneur ; ils pourvoient à notre nourriture, à notre vêtement, à notre logement, selon le rang que nous occupons dans le monde, et suivant les dispositions de la divine Providence, ils nous viennent aussi en aide dans nos maladies, dans nos afflictions, dans les peines et les dangers où nous nous trouvons ; soit qu'ils nous délivrent tout à fait de ces maux, soit qu'ils se contentent de les adoucir, de nous consoler, de nous encourager ; soit qu'ils nous envoient des personnes charitables capables de porter remède à nos souffrances ou de relever notre courage abattu. Enfin, ils intercèdent pour nous auprès de Dieu, et ils s'acquittent avec une diligence et une affection incroyables de tout ce qui regarde leur emploi. Nous en avons un exemple remarquable dans tous les bons offices que l'archange Raphaël rendit au jeune Tobie. Il le délivra d'un poisson monstrueux qui allait le dévorer et l'encouragea à le saisir ; la chair du poisson leur servit de nourriture pendant tout le voyage ; le cœur, mis sur des charbons, chassa le démon Asmodée qui prétendait étouffer Tobie le fils ; le fiel, appliqué sur les yeux de son père, qui était aveugle, devait lui rendre miraculeusement la vue. Ce n'est pas tout ; il recouvra une somme qui était due à Tobie ; il procura au jeune homme une alliance honorable ; il lui donna de sages avis avant et après son mariage ; enfin, il le laissa riche, content et heureux dans la maison de son père. Ce que cet ange fit pour Tobie d'une manière visible, chacun des anges gardiens le fait d'une manière invisible en faveur de celui qui lui est confié. Je puis donc adresser à mon fidèle protecteur ces paroles de Tobie :

Quand je me donnerais à vous comme esclave, je ne reconnaîtrais qu'imparfaitement vos bienfaits. Je m'abandonne entièrement à votre conduite ; achevez, ange béni, l'œuvre que vous avez commencée ; prenez soin et de mon corps et de mon âme jusqu'au jour ou vous m'introduirez dans la maison de mon Père céleste, riche et heureux pour l'éternité.

Deuxièmement. J'examinerai de quelle manière je dois témoigner à mon bon ange ma reconnaissance pour tous les soins qu'il me prodigue. Il est juste, avant tout, que je pense souvent à lui ; que je le regarde comme présent et comme le témoin de toutes mes actions ; que par conséquent je prenne garde de rien faire, même quand je suis seul et dans un endroit retiré, qui puisse blesser les yeux d'un si saint ami. Saint Paul recommande aux femmes d'avoir dans l'église la tête voilée par respect pour les anges; je dois, pour le même motif, moi qui en ai toujours un à mon côté, être chaste, modeste, tempérant, composé dans toutes mes actions, soit publiques, soit secrètes. De plus, il m'importe grande­ment de traiter et de m'entretenir fréquemment avec lui. Car, comme il est pour moi un protecteur, un maître, un conseiller, un ami, un compagnon, la raison demande que je lui témoigne de la confiance et de l'amour. Je m'adresserai donc à lui, tantôt comme à un maître habile, qui m'instruira ; tantôt comme à un sage conseiller, qui me dictera ce qu'il faut faire ; tantôt comme à un puissant protecteur, qui me sauvera du péril ; tantôt comme à un fidèle ami, qui me consolera dans mes peines. Tour à tour, je le remercierai des bons offices qu'il me rend, je me réjouirai des biens qu'il possède, je bénirai Dieu de ce qu'il l'a prédestiné à la gloire. Et parce qu'il s'absente quelquefois pour retourner au ciel, sans néanmoins me perdre de vue, ni abandonner le soin de ma conduites, je le prierai instamment de revenir au plus tôt, et de demeurer auprès de moi. Sa bonté est si grande, qu'il ne manquera pas de se rendre à ma prière ; et quand il sera de retour, il me fera sentir sa présence par les consolations et les joies célestes qu'il répandra dans mon cœur.

Troisièmement. Je m'efforcerai surtout de gagner sa bienveillance pour m'assurer de son secours à l'heure de la mort. Comme c'est par son ministère que s'exécute le dessein de notre prédestination laquelle dépend de la persévérance finale, il redouble sa vigilance et ses soins à mesure que notre dernière heure approche, parce qu'il voit que le démon met alors tout en œuvre pour nous perdre. Croyons donc que celui qui aura été docile à ses inspirations pendant la vie le trouvera propice à la mort. Ce fidèle gardien, après avoir défendu son client jusqu'à la fin, recevra son âme au sortir du corps et la portera, comme d'autres anges portèrent celle de Lazare, dans le sein de Dieu.

Quatrièmement. Pour obtenir cette suprême faveur, je pratiquerai tous les jours quelque dévotion en son honneur, et je lui adresserai quelque prière. Je lui dirai, par exemple :

Ange de Dieu, prince du ciel, gardien vigilant, guide assuré, ami charitable, je me réjouis de ce que Dieu vous a créé si parfait, de ce qu'il vous a sanctifié par sa grâce, de ce qu'il a récompensé votre persévérance en vous couronnant dans la gloire. Je rends grâces au Dieu tout-puissant des biens qu'il vous a faits, et à vous, des faveurs que vous m'accordez et du dévouement dont vous me donnez tant de preuves. Je vous recommande aujourd'hui mon corps et mon âme ; ma mémoire, mon entendement, ma volonté, mon appétit et mes sens ; daignez me protéger, me gouverner, me purifier, m'éclairer, me perfectionner ; de sorte que, comblé de biens par votre entremise, je persévère jusqu'à la fin dans là grâce, et que je mérite de voir mon Dieu face à face, et de le posséder éternellement avec vous dans le ciel. Ainsi soit-il.

 


[1] DAN.,X, 13