Sainte Blandine , chrétienne-martyre donnée aux lions en nourriture,
les bêtes ne font rien et restent à ses pieds ,sous Marc Aurèle en 177 après Jésus Christ
LES ANGES ET LES MARTYRS
L'humanité est un champ clos, où entrent en lutte, comme il est dit dans l'Apocalypse, les puissances célestes et les puissances infernales. Cette lutte est à l'état aigu dans la personne des martyrs. Les démons s'acharnent sur eux, avec une violence inouïe, par l'iniquité de leurs juges, et la férocité de leurs bourreaux. Il est juste et dans l'ordre que d'un autre côté ils soient secourus sensiblement par les bons anges. Le Saint-Esprit il est vrai, les anime et les fortifie ; mais cette assistance intime, essentielle, ne rend pas superflue l'assistance ministérielle des anges qui la prolonge en quelque sorte et la complète. Aussi les voyons-nous souvent intervenir, même visiblement, pour encourager les saints martyrs, guérir leurs plaies, couronner leur constance, et parfois protéger leurs restes inanimés contre de lâches insultes.
Durant la persécution d'Adrien, les deux frères Faustin et Jovite sont arrêtés comme chrétiens à Brescia, livrés aux bêtes qui les respectent, jetés dans les flammes qui les laissent intacts, et enfin condamnés à mourir de faim dans leur prison. « Mais, au milieu de la nuit, des anges du Seigneur descendent auprès d'eux, et réconfortent les bienheureux martyrs », en sorte qu'ils ne sentent pas le tourment de la faim, et qu'ils sont en état de fournir toute une carrière de nouveaux interrogatoires et de nouveaux supplices (Act. SS. Feb., tom. Il, p. 812).
Saint Julien, martyr à Sora sous Antonin le Pieux, après une cruelle flagellation, est jeté dans un cachot ténébreux, où on le laisse pendant une semaine sans nourriture. « Mais Dieu, disent les actes, n'abandonna pas son client, il fut réconforté par la visite et les entretiens des anges, et sustenté par des aliments célestes » (Act. SS. Jan., tom. III, p. 382).
Un ange vient guérir les plaies de saint Constant, évêque, qui souffre à Pérouse sous Marc-Aurèle. Ses actes sont rapportés par le cardinal Baronius (Act. SS. Jan., tom. III, p. 545).
Vers la même époque, les saints martyrs Tryphon et Respicius sont assistés et couronnés visiblement par un ange, tandis qu'on leur applique au flanc les lampes ardentes.
Sous la persécution de Dèce, saint Thyrse souffre en Bithynie un long et cruel martyre. Il n'était pas baptisé, et il souhaitait de l'être, quoiqu'il eût déjà commencé à recevoir le baptême de sang. Au milieu de la nuit, des anges descendent dans sa prison, font tomber ses chaines, lui ouvrent les portes et le conduisent à l'évêque Philéas. Celui-ci le voit arriver tout environné de lumière; étonné d'abord, ils'empresse de lui conférer le sacrement de la régénération. Après quoi les saints anges escortant toujours le saint martyr, le reconduisent dans son cachot. Les Bollandistes déclarent que les actes, desquels ce récit est tiré, sont dignes de foi et parfaitement solides, encore qu'ils contiennent bien des choses merveilleuses (Act. SS. Jan., tom. III, p. 442).
La persécution de Dioclétien nous offre une ample moisson de faits analogues ; il est impossible de les relever tous. Les saints martyrs Clément et Agathangèle, étant mis en prison, y sont visités par les anges qui les animent à confesser courageusement leur foi dans les supplices (Act. SS. Jan., tom. III, p. 78). Le Romain saint Boniface s'en va en Orient cueillir la palme du martyre ; un ange vient visiblement à son secours, tandis que les bourreaux le plongent dans une chaudière de poix fondue ; après qu'il a consommé sa passion, un ange apparait à la matrone Aglaë, et l'avertit de recevoir ses précieux restes comme ceux d'un confesseur du Christ (Act. SS. Maii., tom. III, p. 284-285). Pendant que le célèbre martyr saint Sébastien exhorte les jeunes chrétiens Marc et Marcellien à demeurer fermes dans la foi, une splendide lumière lui forme comme un vêtement ; sept esprits célestes et le Sauveur lui-même se montrent à ses côtés ; saisie à ce spectacle, sainte Zoë qui était muette, recouvre la parole et se fait chrétienne (Act. SS. Jan., tom. II, p. 624). Tandis que le diacre illustre saint Vincent, le corps couvert de plaies vives, est étendu dans un sombre cachot sur un lit de pierres aigües et de tessons de pots cassés, les anges descendent auprès de lui, et guérissent ses blessures; le saint se promène librement en louant Dieu ; les gardes, qui voient la lumière jaillir par les fentes du cachot, contemplent leur prisonnier entouré d'esprits célestes et se convertissent (Act. SS. Jan., tom. III, p. 9). Les actes de saint Sébastien et de saint Vincent sont de ceux qu'on ne peut rejeter, sans avoir contre soi toute l'antiquité. Ceux des saints Julien, Basilide, Celse et autres martyrs ne sont guère moins remarquables par les particularités où ils entrent. Ils nous apprennent qu'au fort même de la persécution de Dioclétien et de Maximien, les descendants de l'empereur Carinus, qui étaient chrétiens, avaient obtenu de pratiquer librement leur foi ; un prêtre vivait avec eux, et leur célébrait les saints mystères. Or, il arriva que saint Julien martyr, ayant converti les soldats ses gardiens, voulut leur procurer le saint baptême. Il fut inspiré de s'adresser au prêtre qui était l'aumônier de la famille de Carinus. Celui-ci, escorté de sept jeunes gens appartenant à cette famille, se rend à la prison ; un ange marche devant lui, touche les portes et les lui ouvre. Le baptême est conféré aux soldats ; mais le prêtre et les jeunes gens sont arrêtés, et eux aussi remportent la couronne du martyre (Act. SS. Jan., tom. I, p. 582). Les rédacteurs des actes de ces glorieux confesseurs du Christ déclarent qu'ils ont été les témoins oculaires des évènements qu'ils racontent ; l'épisode des descendants de Carinus leur donne un cachet très particulier d'authenticité.
Parfois les saints anges ne se contentent pas d'encourager les martyrs et de cicatriser leurs plaies; ils rompent leurs chaines et leur rendent la liberté. C'est ainsi qu'ils délivrent de leur prison saint Valentin, évêque de Terracine et saint Damien son diacre ; un ange leur déclare de la part de Dieu que leur heure n'est pas venue, qu'il leur faut prêcher encore la bonne nouvelle à d'autres régions ; et brisant leurs fers, rétablissant leurs membres rompus par les tortures, laissant derrière eux leurs gardiens comme foudroyés, il les met en sureté hors des portes de la ville (Act. SS. Mart., tom. II, p. 424-426). Saint Félix de Nole est également délivré du cachot où il attendait la mort, par un visiteur angélique : celui-ci fait tomber ses liens, et l'emmène, au travers des gardiens qui ne s'aperçoivent pas de son évasion ; il le conduit en un lieu désert, où saint Maxime son évêque est sur le point de rendre le dernier soupir (Act. SS. Feb., tom. II, p. 20-21 ). Ces deux faits se rapportent à la persécution de Dioclétien. Le dernier, tiré de Grégoire de Tours, est inséré au bréviaire.
La persécution de Licinius nous offre plusieurs traits analogues. Le martyr saint Théodore est cloué à un gibet dans un affreux cachot : à la première veille de nuit, un ange le visite, le décloue, guérit ses blessures, l'encourage, le salue et disparaît ; le lendemain, alors qu'on se préparait à l'ensevelir, on le trouve chantant les louanges de Dieu (Act. SS. Feb., tom. II, p. 30). Même supplice est infligé à saint Théogène : le Seigneur lui-même vient le visiter et le consoler ; puis des anges remplissent son cachot, et se mettent à chanter des psaumes, en sorte que leurs voix sont entendues au dehors ; le tribun de garde accourt et pénètre auprès du martyr, mais il le trouve seul sur son gibet qui continue la psalmodie. Cependant il est miraculeusement guéri de ses plaies. Licinius le condamne à être précipité au fond de la mer ; sur le vaisseau, les anges l'entourent, et leur éclat est tel que les matelots en sont éblouis (Act. SS. Jan., tom. I, p. 135). N'oublions pas de mentionner, pendant la même persécution, les quarante martyrs de Sébaste : tandis qu'ils sont gisants sur l'étang glacé, des anges descendent visiblement du ciel et leur apportent des couronnes. On sait que les Pères grecs ont célébré à l'envi ces illustres victimes qui marquèrent la fin des grandes persécutions.
Les âges suivants ne sont pas déshérités de ces apparitions angéliques alentour des martyrs ; car les martyrs n'ont jamais manqué dans l'Église. Sous Julien l'Apostat, tandis que le comte Julien fait appliquer les lampes ardentes à saint Théodoret, des anges étincelants paraissent autour de lui, et les bourreaux tombent la face contre terre (Act. SS. Sept., tom. VIII, p. 89 et seq). Durant la persécution des Vandales, saint Castrensis, évêque et plusieurs chrétiens sont jetés dans une prison affreuse. Un ange éblouissant de lumière descend pendant la nuit auprès des confesseurs du Christ, et leur tient ce langage : « Le Seigneur Jésus m'a envoyé pour que je réconforte vos âmes et vos corps, vous allez être précipités en pleine mer, mais vous ne serez point privés pour cela d'une sépulture honorable ». L'ange disparait, mais le cachot reste éclairé jusqu'au matin d'une vive lumière, et les martyrs passent le reste de la nuit à chanter des psaumes et des hymnes (Act. SS. Feb., tom. II, p. 527). Passons en Orient. Chosroës promène sa fureur dans les églises de la contrée : une de ses principales victimes est le moine saint Anastase que l'Église associe à saint Vincent dans une même fête. Ce saint martyr, qui était condamné au travail des carrières, au lieu de se reposer pendant la nuit, la passait tout entière à prier et à psalmodier. Un de ses compagnons de captivité s'étonne d'une telle constance. Tout à coup il voit entrer des personnages en vêtements blancs qui entourent le saint martyr et se mettent à chanter, la prison est tout éclairée par leur présence (Act. SS. Jan., tom. III, p. 42). Un fait analogue est rapporté des martyrs de Cordoue au neuvième siècle ; ils sont visités et consolés par les anges dans leur cachot (Act. SS. Julii., tom. IV, p. 458).
La plupart de ces récits sont fournis par les premiers volumes des Bollandistes ; les volumes suivants, feuilletés avec soin, enrichiraient considérablement cette revue bien sommaire. Il est acquis surabondamment que les anges ont maintes fois consolé et encouragé les martyrs par une assistance visible ; quant à leur assistance invisible, elle ne leur a jamais fait défaut. Ces apparitions furent bien souvent publiques et déterminèrent des conversions nombreuses. J'ai averti que, assez souvent, les manifestations extérieures des anges ne sont pas accompagnées d'un éclat qui annonce tout d'abord ce qu'ils sont. Cette observation se vérifiera dans la suite de mon travail. Mais quant à l'époque des martyrs, les apparitions angéliques sont presque toutes éclatantes, lumineuses. Il fallait qu'il en fût ainsi. Ces apparitions étaient destinées à faire la contrepartie des tortures et des avanies qui étaient infligées aux bienheureux martyrs ; en ces anges splendides, ils contemplaient la gloire qui leur était réservée ; et les spectateurs de pareilles visions étaient contraints de reconnaitre que si Dieu laissait souffrir et mourir ses serviteurs, il agissait ainsi par un mystérieux conseil de sa Providence, et non par impuissance à les secourir et à les délivrer.
Extrait de l'ouvrage : Apparitions angéliques, Par Dom Bernard-Marie Maréchaux